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« J’avais vraiment un sentiment d’incomplétude avant de commencer PLAYING THE ANGEL, notre 11e album studio », confie Dave Gahan. C’est ainsi que le groupe de pop électronique le plus subversif du monde et doyen de la death disco s’est reformé pour la première fois depuis 2001, date de sortie de son album EXCITER qui s’est vendu à deux millions d’exemplaires. Depeche Mode sent qu’il lui reste beaucoup à accomplir et à prouver. « Nous avons fait de très bons albums ensemble, mais nous cherchons toujours à nous surpasser », explique le chanteur du groupe. « Et ça, c’est un virus dont on ne se débarrasse pas si facilement ».
Pourtant, le groupe n’a pas chômé entre-temps. En 2001, Depeche Mode a effectué une tournée de 85 concerts devant près de deux millions de spectateurs. En 2004, REMIXES 81/04 s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires dans le monde entier avec une nouvelle version remixée et également sortie en single de l’incontournable Enjoy The Silence. En 2003, le premier album de Dave, recueil de confessions cathartiques intitulé PAPER MONSTERS, a reçu un excellent accueil. De son côté, Martin Gore a sorti COUNTERFEIT 2, deuxième volet de sa « contrefaçon » originale en hommage aux anciennes et nouvelles légendes de la musique, tandis que Fletch a lancé son propre label baptisé Toast Hawaii. Martin et Fletch se sont également produits à plusieurs reprises comme DJ.
Bien qu’ils aient trouvé le succès en solo et que leur vie privée les sépare géographiquement (Londres, Californie et New York), les Depeche Mode ont ressenti la nécessité de se reformer pour leur second projet du 21e siècle.
PLAYING THE ANGEL, album étonnamment frais et exubérant, marque le 25e anniversaire de Depeche Mode, groupe innovateur qui a beaucoup influencé son époque (bien que son premier single Dreaming Of Me soit sorti sous le label Mute en février 1981, Depeche Mode a commencé à travailler sa proto-électro l’année précédente). Au cours du quart de siècle suivant, le groupe a vendu plus de 50 millions de disques dans le monde entier dont 38 tubes au Royaume-Uni (dont 29 au Top 20 et une dizaine au Top 10) et pas moins de 13 albums au Top 10 (y compris les deux compilations THE SINGLES 81-85 et THE SINGLES 86-98 ainsi que LIVE 101 en 1989). Chacun de ces albums a permis à Depeche Mode de faire évoluer l’écriture de ses chansons et de figurer aux côtés de U2 comme le groupe britannique le plus acclamé de la période post-punk.
Depeche Mode n’en est pas à sa première réinvention. En 1981 et 1982 déjà, le groupe se situe à l’avant-garde de la synth pop, mouvement qui fait alors fureur en Grande-Bretagne, avec SPEAK AND SPELL et A BROKEN FRAME. En 1983, il devient le pionnier de l’échantillonnage et popularise les sonorités métalliques avec CONSTRUCTION TIME AGAIN. Tout aussi noirs à l’égard des critères de la pop, SOME GREAT REWARD (1984) et BLACK CELEBRATION (1985) marient à la fois ballades religieuses et beats industriels et agressifs, hymnes dévotionnels à écouter dans l’intimité et exploration de la manipulation psychosexuelle particulièrement appréciée dans les clubs. MUSIC FOR THE MASSES porte bien son titre. C’est en effet le premier album figurant au Top 40 américain. Grâce à ce titre, Depeche Mode est le premier groupe de synth pop à remplir les stades américains et à susciter la reconnaissance d’une génération d’artistes de tendances aussi diverses que la techno de pointe de Détroit et la house de Chicago. Ces artistes citent Depeche Mode comme première source d’inspiration de la dance music électronique. Avec VIOLATOR (1990), que beaucoup considèrent comme le paroxysme de l’existentialisme numérique et de la noirceur, Depeche Mode s’affirme comme le plus grand groupe de pop alternative du monde. En 1993, il glisse vers une instrumentation conventionnelle du rock avec SONGS OF FAITH AND DEVOTION. Après avoir transcendé et survécu à toutes les époques du rock au cours de la dernière décennie, après avoir tutoyé le shoegazing, le madchester, le grunge et la britpop, Depeche Mode prouve que rien ne peut l’arrêter avec ULTRA (1997), album sombre et méditatif produit par Tim Simenon et EXCITER, opus chapoté par Mark Bell et méconnu. Même les événements troubles et très médiatisés de la fin des années 1990 n’auront pas raison du groupe : les trois artistes traversent alors une crise personnelle. Dave Gahan, en particulier, se rapprochera dangereusement du seuil de ce qu’un être humain peut physiquement et émotionnellement endurer.
Pourtant, la muse de ce groupe ne montre aucun signe d’usure narcotique. PLAYING THE ANGEL donne l’impression que Depeche Mode est un groupe fraîchement formé et rien ne trahit ses vingt-cinq ans d’aventure commune. Avec ses vibrations cybernétiques et son refrain triomphant, Precious, premier single de l’album, exprime la quintessence même de Depeche Mode. Ponctué de brefs staccati explosifs et d’effets sonores comme la plupart des morceaux de cet album, The Sinner In Me dose à merveille organique et synthétique. La voix de Dave est plus puissante que jamais dans Suffer Well comme dans l’ensemble de PLAYING THE ANGEL. Macrovision chanté par Martin nous présente une pop hi-tech irradiante et accrocheuse. L’incroyable John The Revelator constitue l’un des tubes potentiels de l’album. Enregistré en mineur, le menaçant I Want It All est l’un des titres les plus lents et évoque un trip hop en provenance de l’enfer. A Pain That I'm Used To inaugure ce qui aurait pu être la deuxième face de l’ancêtre du CD dans un style à la fois subtil et fougueux, entrecoupé de véhéments solos de guitare.
Fletch nous rappelle que le titre du 11e album studio de Depeche Mode est né des paroles d’un autre morceau intitulé The Darkest Star. L’enregistrement effectué à Santa Barbara, New York et Londres, à proximité des domiciles respectifs de Martin, Dave et Fletch, a débuté en janvier 2005 en Californie. En l’espace de cinq semaines, le groupe a mis cinq chansons en boîte, « un record mondial pour Depeche Mode », explique Fletch. Après avoir été le patron de Toast Hawaii pendant deux ans, Fletch confie qu’il a éprouvé quelques difficultés à remettre le pied à l’étrier : « C’était un peu comme de passer de la dictature à la démocratie, mais l’ambiance au studio a été stimulante et excitante ».
C’est le producteur Ben Hillier (Doves, Blur) qui a insufflé au groupe ce goût du défi et de l’exploration. « Il faut travailler dur pour se réinventer », confie Dave. « Il faut du sang neuf, des personnes qui vous poussent et vous donnent de nouvelles idées. Nous ne regrettons pas d’avoir choisi Ben Hillier ». Avec le goût du paradoxe très caractéristique de Depeche Mode, les trois membres du groupe confessent avoir été heureux de découvrir que Ben n’était pas particulièrement fou de Depeche Mode. « Il n’était pas fan de notre musique », témoigne Dave. « Cela me motivait », ajoute Fletch. « C’était plutôt positif, car il n’avait pas d’idées préconçues sur nous ou sur ce que nous devions faire ». L’approche détendue et objective du producteur a contribué à créer une ambiance positive dans le studio. « Ben est très calme, il émane de lui une certaine aura qui nous a aidés à aller de l’avant », précise Martin. « Nous avions besoin que quelqu’un nous supervise à la manière d’un directeur, nous encadre et s’assure que nous allions dans la bonne direction ».
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